Avez-vous une idée du temps que ça prend, de se tuer en buvant ? Le temps doit être long, et le sembler encore plus. Et encore plus, quand l'horreur fait disjoncter ce qui, la haut, maintient en place un semblant de sanité. Mais c'est mieux. Ce mécanisme automatique, une valve qui saute, une porte qui se ferme, et la réalité change. C'est comme ça qu'un cadavre se met à regarder les étoiles, et que le sang coulant d'une gorge sur sa peau ne se remarque même plus. Trop d'émotions ? Pas assez ? Trop différent, mais depuis quand à ce point ? Des pensées qui se mêlent, et des souvenirs qui s'amusent, l'alcool qui coule et coule mais il n'y aura plus de réponses à apporter maintenant. Le feu autour n'était pas près à mourir quand Iwao avait fermé les yeux...

... pour les rouvrir ailleurs.

Blanc. Froid. Lumière. Mais pas de feu ici. Des voix, des sons, des odeurs. Et lui, il avait un mal de crâne digne de ses meilleures séances de légilimencie. Il bâtit des paupières, une fois, puis une autre. Tout avait été flou une seconde, mais était revenu. Comme des souvenirs anciens, mais marqués dans sa tête avec en cadeau le goût acide d'un mélange de larmes et de sang. Larmes... Est-ce qu'il allait pleurer ? Il ne l'avait plus fait depuis la dernière fois que son monde s'était effondré. Rien d'autre ne justifiait vraiment des larmes, même les douleurs les plus profondes qu'il avait ressentis depuis. Parce que des larmes, c'était autre chose, ça racontait une autre histoire que juste... souffrir.

Il se sentait... nauséeux. Mais bien, cela mit de côté. Et au fond, c'était surement le plus douloureux là tout de suite. Il se sentait en vie. Comment ? Il n'était pas mort, si ? Il entendait... tout les bruits, plus fort que ce qu'ils étaient vraiment, parce qu'il cherchait à comprendre sans voir. Il était à l'hôpital ? Il était... à Sainte-Mangouste, n'est-ce pas ? Peut-être... que finalement, il avait assez bu pour perdre connaissance, et que, d'une manière ou d'une autre, il avait été récupéré. Combien de temps ça faisait ? Pourquoi ici ? Le dernier endroit où il voulait être c'était ici. Ou peut-être que d'autres lieux auraient été pires, mais ici aussi, c'était tinté... d'elle. Elle, qu'il sentait juste là, à côté, alors qu'il savait. Elle, et lui, qu'il entendait respirer et bouger comme lui seul le pouvait.

Combien de temps ? Combien de sorts, et combien de potions, pour qu'il soit là, et pas avec eux ? Pour que la soupape de sécurité se soit renclenchée, et que son conscient lui parle de choses qu'il ne voulait pas voir ? Fou, il aurait préféré le rester. Et il allait surement le redevenir. Ou alors, il ne s'en laisserait pas le temps. Il était là, alors... Ceux qui l'avaient ramené ici, ils avaient bien dû ramener les autres aussi ? Ceux qui pouvaient être ramenés. Alors il allait faire une dernière chose avant de suivre leur chemin. Il allait récupérer Eiji, et le supplier de le pardonner. Il allait le ramener à la maison. Même mourir, il l'avait raté. Il allait emporter son cousin, le dirico de sa soeur et son botruc. Confier les familiers aux bons soins de ceux qui resteraient. Et ils dormiraient tous les trois. Se reposer, enfin, mais chez eux.

Une main. Douce, fragile. Seulement quand elle se pose sur lui, car il la connait ferme et fatale aussi. Elle effleure son épaule, et vient se poser sur son front. Il avait refermé les yeux. Il ne voulait pas voir. Mais la main reste sur son front, et une autre vient enlacer ses doigts, et serrer, un peu plus fort. Une pression. Deux pressions. Trois pressions. Son coeur avait chuté tout droit au sol, et il avait forcé ses yeux à se rouvrir.

"........... Kaneko." un souffle, incrédule.

Et son monde avait reprit des couleurs, douloureusement, et brusquement. Il avait relâché ses doigts, et s'était redressé d'un seul coup, yeux grands ouverts, et son coeur battant beaucoup trop fort pour ne pas avoir mal. Sans hésiter il s'était tourné vers cette autre présence qu'il avait sentie sans vouloir la considérer. Puisque si Neko était là...

Eiji.

Sa tête pulsait encore plus maintenant qu'il s'était mit debout. Dans le mouvement, il avait trébuché et poussé son brancard en arrière, tuant toute possible discrétion dans ce réveil. Son regard retourna à Kaneko. Eiji. Neko.

Eiji.

Les souvenirs qui tournaient dans sa tête, et ce qu'il voyait là ne concordaient pas. Une illusion ? Un miracle ? Ou alors, vraiment, il était mort. Mais quoi qu'il en soit, juste là, il y avait son cousin, qui avait plus l'air d'une coquille vide qu'autre chose. Violent, trop violent, à l'image de ce qui se passait dedans et de ce qu'il était trop souvent, il fit un pas en avant pour attraper Eiji par le col sur son lit. Son col rouge et encore humide qui tira un frisson à Iwao alors qu'il attrapait le regard de cette autre partie de lui. Pourquoi Eiji lui paraissait si froid ?

La main, qui revenait, délicate. Sur son épaule déjà, un battement de cils plus tard. Est-ce qu'il allait pleurer ? Il en avait très envie. Mais ils étaient tous là. Alors surement que non. Ce qu'il allait faire, en revanche, et tant pis si c'était trop près, trop fort ou juste trop, et tant pis si des yeux les voyaient pour une fois ; ce qu'il allait faire c'était se pencher pour venir poser sa tête sur le torse de son cousin, là où en tendant l'oreille il pourrait entendre la preuve dont il avait encore besoin pour s'assurer qu'il était bien vivant, une main toujours agrippée à lui alors que l'autre venait chercher Kaneko pour la serrer aussi, et se permettre, enfin, de respirer. De pousser un soupire de soulagement, pour chasser en partie ses douleurs. Il y aurait des choses à dire, mais maintenant, ils auraient le temps.

" Ne m'abandonne pas, Eiji. " il avait dit dans leur langue à eux, et tout bas, juste pour leurs oreilles.

Ne me laissez plus seul, plus jamais.

La main du japonais se resserra sur la main de sa soeur, assez fort pour que pour n'importe qui d'autre qu'elle ça ait été douloureux. Assez fort pour que sans les mots il lui dise que sans elle non plus, il ne vivait pas. Mais il avait toujours été plus dur avec elle, non ? Ou peut-être pas. Puisqu'au final, des trois, le seul qui avait besoin des mots, c'était lui. Alors ce geste, finalement, était peut-être même bien plus parlant, bien plus limpide que tout ce qu'il aurait pu dire.

Je ne veux pas revivre ça. Jamais. Promettez moi. Jamais.